La traduction anglo-saxonne de soin, le care, est un mot plus englobant et multiformes que son équivalent français. Son acception la plus répandue est « soin, sollicitude, prendre soin c'est-à-dire souci de l'autre au sens large, s'occuper de, proximité, se sentir concerné. » (Noël-Hureaux, 2015). Le terme fait aussi appel à « différents niveaux : individuel, relationnel, collectif et institutionnel » (Martin, 2008) ; à des qualités morales spécifiques : « l'attention (correspond au caring about), la responsabilité (correspond au taking care of), la compétence (correspond au care giving), la réceptivité (correspond au care receiver.) » (Molinier, Laugier et Paperman 2009) ; à non pas à « une vertu individuelle, mais un travail collectif » (Molinier, 2012). Il serait aussi « un instrument de lutte sociale » (Noël-Hureaux, 2015). C'est à travers ce prisme du care que le soin sera ici évoqué.
Nous avons tous, en théorie, une idée de ce que prendre soin signifie. Nous l'appliquons avec ceux qui partagent notre vie quotidienne, le plus souvent dans les sphères familiales et amicales. Pourtant, dans notre environnement professionnel, prendre soin a aussi toute sa place. Elle est généralement plus floue et moins tangible que dans notre vie personnelle. Parce que nos façons de penser ou de théoriser ne sont pas toujours reliées à nos manières de faire et nos pratiques. Des contradictions peuvent ainsi apparaitre entre ce que nous intellectualisons dans nos communications scientifiques et ce que nous pratiquons au quotidien dans nos laboratoires et à l'Université. En effet, à travers nos différents parcours de recherche et/ou d'enseignement il est probable que nous ayons tous plus ou moins vécu des situations dans lesquelles nous aurions apprécié que l'institution dont nous dépendons et/ou que nos collègues prennent davantage soin de nous. A l'inverse, il est aussi possible que nous n'ayons pas toujours été en capacité de porter soin comme nous aurions dû ou comme nous aurions souhaité à nos collègues ou aux acteurs avec lesquels nous travaillons.
Se situer soi-même en tant que personne, chercheur et/ou enseignant permet de passer de la théorie et de l'intention à l'action et à la pratique lorsqu'il s'agit de prendre soin. En reliant davantage nos réflexions, nos manières d'être, nos sensibilités et nos façons de faire. Dès lors, prendre soin n'est plus qu'un positionnement théorique. C'est davantage une façon d'agir, de matérialiser des principes à travers des repères concrets. En organisant par exemple une conférence dans laquelle le format d'expression est plus flexible que le schéma standard et chronométré des présentations power point qui s'enchainent, encourageant l'expression individuelle et sensible. Ou en prenant le temps, alors que nous imaginons ne pas l'avoir, d'échanger avec des collègues qui connaissent des difficultés pratiques ou psychologiques quand ils nous sollicitent. Parce que prendre soin passe par des engagements et des prises de positions franches, dans lesquelles nous pouvons nous sentir plus ou moins confortables, notamment lorsque cela sort de nos habitudes. C'est une pratique qui demande de se dévoiler, d'être vulnérable, et de lâcher prise.
La géographie mobilise le concept de care à travers différents prismes. Les chercheurs de la discipline s'intéressent, de manière non-exhaustive, aussi bien à « faire émerger une éthique de l'action » (Barniaudy, 2020), aux « façons dont le « prendre soin » des pratiques de gestion des espaces de nature se spatialise » (Tollis, 2013) ou encore aux rôles des femmes dans les spatialités du care (England, 2010). La pratique, l'action, et l'expérience apparaissent donc au cœur de la réflexion autour du soin en géographie. La thématique ne fait pas partie de mes recherches et je ne souhaite pas m'inventer de l'approfondir dans mes travaux géographiques. A travers cette communication il s'agira plutôt de faire un bref état des lieux de ce que l'on entend par soin dans notre pratique quotidienne de la recherche et de l'enseignement. Nous partagerons et discuterons ensemble de nos expériences pour caractériser ce qui fait et ne fait pas écho, en vue d'identifier des moyens d'action ou des manières de faire à des échelles individuelles, collectives et disciplinaires qui permettent de mieux prendre soin de soi et des autres.