Cette communication interroge les formes d'engagement et ses modalités sur le terrain des migrations au Maroc en examinant les manières singulières de conduire l'enquête via un ancrage propre au géographe et un nombre de gestes d'investigation, de spécification ou d'émancipation (Breviglieri, Goeury, 2021). Pour ce faire, nous prenons appui sur l'ancrage d'une recherche-action participative, réalisée sur la période 2017-2020, auprès d'un échantillon de 215 migrants dispersés spatialement par les autorités marocaines depuis les villes frontalières du nord vers les villes intérieures et du Sud marocain, dont Tiznit et Taza. Nous avons choisi de mener notre enquête en immersion dans les camps, parmi les migrants afin d'ancrer notre méthodologie sur les paradigmes de l'autonomie des migrations et le prisme de l'infrapolitique. En introduisant la catégorie pratique de « civilité de transit », nous rendons plus intelligibles et réflexive (Bourdieu, 1980) la « dispersion spatiale » et la « ville-refuge » malgré une ligne de crête complexe conjuguant luttes et mobilisations, logiques de domination et logiques de solidarités. Ancrée dans un plan immanence, comment l'expérience du chercheur se nourrit-elle d'une éthique de la conviction au service de la production de son propre objet de recherche scientifique ?
I) Le choix d'un protocole de recherche participative dans les camps : une dialectique de la conviction et de la scientificité
Nous explicitons les modalités et les séquences de mise en place de notre protocole de recherche participative reposant sur une méthodologie de l'inclusion non réifiante. Excluant tout recrutement forcé des migrants, nous avons visé à ce qu'ils deviennent co-producteurs du savoir en possédant le contrôle sur les questions et la conception de la recherche (Johnson et Parry, 2015) mobilisant les principes de convivialité et de négociation collective dans nos groupes de discussion et tellystorring des participants. Face aux enjeux sécuritaires et politiques forts de mon terrain d'étude, j'ai éprouvé en tant que chercheur, des difficultés administratives et un refus pour accéder à la forêt de Gourougou à Nador, ceci en raison de l'assimilation de mon objet de recherche, aux actions militantes de l'Association marocaine des droits humains (AMDH). Afin de dépasser les difficultés d'accès aux camps et garder le lien avec les migrants subsahariens, j'ai cofondé l'association d'Accueil et de Solidarité pour l'Appui des Migrants subsahariens (ASAM) en 2017. La création de l'ASAM est une réponse axiologique fondée par la conviction et concomitamment un moyen de saisir mon terrain d'étude dans un cadre multi-situé ouvrant mon objet d'étude à une triple échelle (scientifique, associative et politique) ce qui permet de saisir un continuum du vécu migratoire. L'engagement militant a permis de corriger cet écueil de la domination inconsciente ou indirecte du chercheur face à des migrants en interrogeant l'écart entre le répertoire de l'action collective « le texte public », avec « le texte caché » (Scott, 1985). Par le renoncement militant au monopole du savoir et de la parole, notre recherche sur le vécu des migrants a gagné en scientificité en centrant leurs voix et leurs connaissances expérientielles au cœur de notre objet de recherche (Saltsman et Majidi, 2021). Cette « sensibilité différente » au sein d'une éthique communicationnelle du chercheur se traduit par l'adaptation des formats de notre engagement aux échelles de l'autonomie (corps, espace public, choix et décisions).
II) Enjeux de la définition d'un positionnement socio-spatial et politique du géographe : une épistémo-politique de la constitution de l'objet scientifique
Il s'agit de comprendre dans quelle mesure l'engagement échappe, toujours et déjà, au chercheur dans la tentative de constitution de son objet scientifique, en raison d'une dynamique entre engagement et embarquement. Paradoxalement, c'est au carrefour d'un trouble assumé et d'un soin dispensé (Breviglieri, Goeury, 2021) au cœur même d'un projet d'émancipation des migrants que le chercheur peut se retrouver en tant que militant embarqué - au sens pascalien - dans une « biopolitique de l'hospitalité » (Rozakou, 2012) fondée sur l'inégalité et l'ordre hiérarchique des vies humaines au service du contrôle étatique de la vie des migrants sous la modalité du biopouvoir. Pour pallier cet écueil, le double statut de chercheur et de militant insider permet de redéfinir l'engagement en tant qu'ensemble d'embranchements affinitaires (Breviglieri, 2018) et de tissu d'attaches local. Il s'agit de montrer comment le chercheur se détache de l'ethnocentrisme par la déconstruction des catégories stigmatisantes (Peretti-Ndiaye, 2022) en réinterrogeant sa liberté socio-spatiale et représentationnelle. Face à la logique d'entendement propre au capitalisme dans son contrôle des trajectoires migrantes (Mezzadra, 2004), l'imaginaire en tant que maïeutique apparaît comme outil de production scientifique et non idéologique, politique et non politisé. C'est le cas du modèle des forces imaginantes du droit (Delmas-Marty, 2004) transposé par le chercheur au service et au sein d'une géographie humaniste.
En conclusion, le géographe en vertu de sa « sensibilité empirique » (Clifford, 1997) fait de sa conviction une condition de scientificité de sa recherche, contribuant ainsi à constituer l'espace en ressource d'intelligibilité et d'émancipation.