De la difficulté à se désengager : décentrer et rendre neutre le vocabulaire lié aux recherches sur la Chine(-Afrique)
Xavier Aurégan  1, 2, 3, 4@  
1 : Conseil québécois d'études géopolitiques
2 : IFG Lab
Institut Français de Géopolitique 2, rue de la Liberté 93 526 Saint-Denis Cedex - France
3 : Institut français de recherche sur l'Asie de l'Est
Centre National de la Recherche Scientifique : FRE2025, Institut National des Langues et Civilisations Orientales : FRE2025, Université Paris Diderot - Paris 7 : FRE_2025
4 : Université catholique de Lille
faculté des lettres et sciences humaines

Travailler sur un État tel que la République populaire de Chine (RPC) est certainement, en soi, une forme d'engagement : engagement politique pour certain-e-s, militant pour d'autres, culturel et/ou familial éventuellement, scientifique assurément. La supposée complexité qui caractérise la Chine continentale renvoie fréquemment, dans le monde universitaire a minima, à des termes tels que "opacité", "doctrine" ou encore "propagande", qui sont eux-mêmes généralement intimement liés à "communisme", "parti-État", "péril jaune", etc. C'est au moins en partie dans ce contexte que nous avons choisi, il y a maintenant 15 ans, de mener des recherches sur les multiples formes de "présences" chinoises sur le continent africain. Avec le recul, une forme de (dés-)engagement peut être extraite de ces recherches, et elle concerne les mots. Ces mots sont le vocabulaire lu et entendu, utilisé ou non, combattu ou non, propre à la Chine d'une part, et plus directement aux relations sino-africaines d'autre part. Trois sous-parties peuvent alors être proposées.

Tout d'abord, cette expression, « sino-africaines ». Placer la Chine (« sino ») devant l'Afrique révèle une forme de polarisation des rapports PAR l'État chinois/la Chine/les Chinois/les acteurs économiques, politiques, culturels chinois. Cette polarisation est réelle ou construite, tant par les acteurs étudiés (Chine, Afrique, etc.) que par nous, qui générons une potentielle perception occidentalo-centrée qui opposerait d'un côté « Chine »/« Afrique », et d'un autre, « Chine-Afrique » à « Occident-Afrique ».

Ensuite, les termes employés par les autorités politiques chinoises et repris par la majorité des journalistes, des « observateurs et spécialistes », et enfin des universitaires : amitié, coopération, développement, rapport gagnant-gagnant, etc. Ces mots ont davantage de poids politique qu'ils n'ont en l'air, car ils valident, de fait, les représentations – officielles – chinoises. Ils dénaturent parfois aussi la relation ou le rapport, à l'image d' « investissement ».

En définitive, le mot-valise qu'est « investissement », employé à tort et à travers par ces mêmes acteurs cités supra, ne rend absolument pas compte des réalités – telles que perçues par une minorité de chercheurs dont nous espérons faire partie. Déconstruire et utiliser avec parcimonie ce mot est ardu : c'est un travail de longue haleine qui fonctionne partiellement dans le monde francophone, très peu dans le monde anglophone.

Ces trois éléments, qui peuvent s'appuyer ou être enrichis via la cartographie, convergent vers une pratique qui nous apparaît nécessaire : se désengager. Mais se désengager de quoi exactement ? D'un militantisme ? D'une appétence non-neutre envers l'histoire récente – et politique – chinoise ? Se désengager d'une (mauvaise) pratique de la neutralité axiologique lorsqu'on mène nos recherches ? Ou plus simplement, ce qui ne renvoie pas ipso facto à de la simplicité, s'engager à une contre-représentation de nos pratiques usuelles ?

C'est cette dernière proposition que nous retenons : analyser nos pratiques pour (mieux) se désengager et, en l'occurrence, décentrer ces rapports sino-africains qui deviennent alors afro- ou africano-chinois. Ce décentrage (action de déplacer le centre, qui elle-même évoque le couple centre-périphérie) n'est ni aisé ni naturel, il exige des efforts permanents. Pour illustrer ces propos, nous proposons en parallèle une série de cartes décentrant les et nos regards sur ces relations afro-chinoises et ce, par le biais des infrastructures portuaires africaines qui sont parfois financées, construites et/ou gérées (opérées) par des acteurs économiques chinois.


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