Engagements : (s')éclairer le paysage des géographes
Régis Keerle  1@  
1 : UMR CNRS 6590 ESO Espaces et sociétés
Université Rennes 2 - Haute Bretagne
Place du Recteur Henri Le Moal -  France

Puisque « toute géographie est d'une manière ou d'une autre engagée »[1], la question épistémologique est inévitable, sous peine de tomber dans un technicisme vide. Il ne s'agit pas ici de traiter de l'épistémologie en général, puisque le sens de ce terme se précise d'autant mieux que des épithètes l'accompagnent, mais de tenter de comprendre les engagements des géographes (dont celui de l'auteur) à l'aide d'outils d'épistémologie analytique. Un positionnement scientifique aussi bref risque néanmoins, d'une part, de convaincre surtout d'une distance indue face à « l'opérationnalité revendiquée par la discipline », et d'autre part, de brouiller l'identification des thématiques de l'appel à communications qui conviennent le moins mal à ce texte.

Or son objectif est bien d'interroger les « modalités d'un dialogue scientifique, intégrant des dimensions éthiques, morales et politiques » entre géographes et non-géographes (aux sens à la fois scientifique et professionnel de ces termes). Mais tout dialogue est susceptible de comporter des malentendus, à tel point que le nombre maximal de signes attendu dans ce résumé pourrait s'avérer insuffisant pour expliciter le sens de chacun des mots clés qui sont requis pour l'accompagner. De même que, le monde relativement restreint auquel cet appel à communications s'adresse permettant des hypothèses d'identification des caractéristiques visibles de l'individu concerné, de ses engagements (par exemple au regard de son usage d'une écriture réputée plus ou moins « inclusive » que d'autres), celles-ci pourraient être interprétées comme contradictoires avec le contenu de sa proposition de communication.

Pour préciser ce positionnement, je retiendrai que son auteur n'est plus un « jeune chercheur », et qu'il s'identifie à une posture réaliste, quoique marquée par l'épistémologie post-poppérienne. D'abord enseignant, mais dans un établissement de formation qui n'accorde qu'une voie étroite à la géographie, porteur d'un engagement syndical pas si valorisé qu'on ne pourrait l'imaginer lorsqu'il se confronte à l'objectivité scientifique, ayant réussi à résister à certains des effets délétères du financement des travaux de recherche et à ceux de quelques disputes collectives sur sa production scientifique, à se résigner à dissocier (au moins provisoirement et ponctuellement) enseignement et recherche, je pense que l'engagement peut être, le plus souvent, la meilleure des attitudes à s'efforcer d'acquérir, mais aussi parfois la pire, lorsqu'elle conduit au dédain de connaissance (des autres) ou à la reconnaissance (des siens) sans critique.

Mon expérience m'a ainsi amené à penser que si « combat » il doit y avoir, ce ne peut être ici qu'un combat pour la géographie, aussi difficile qu'il puisse être pour un chercheur de ne pas céder sans réflexivité aux thêmata qui peuvent l'inspirer.

Concrètement, cette proposition de communication s'intéressera surtout à la diversité des « différents niveaux d'engagement(s) », moins au travers des méthodes utilisées (même si la question ne sera pas évitée) ou des résultats obtenus (plutôt à la limite de l'insignifiance jusqu'à présent dans mes expériences), qu'à la lumière des objets étudiés.Par exemple, le sport est -il une question socialement vive (si l'on se réfère à la dernière coupe du monde de football au Qatar, peut-être beaucoup moins après le 18 décembre 2022) ?

Quant aux niveaux d'engagement, en voici une première ébauche de déclinaison :

- non-engagement involontaire ;

- non-engagement volontaire ; imaginons le cas d'un jeune docteur ayant travaillé, au début des années 2010, sur les effets d'une adhésion à venir de la Turquie à l'Union Européenne, puis s'étant « retiré des débats »par la suite ;

- para-engagement (la « subjectivité » pour certains géographes) ;

- engagement « opportuniste » (dans les différents sens du terme, et parfois tout simplement « de jeunesse ») ;

- engagement contraint (tel celui que connaît la.e cherche.u.r.se français.e débarquant pour une mobilité de recherche provisoire aux États-Unis) ;

- engagement affiché (« géographes anarchistes ») ;

- engagement attendu ou trop peu convaincant (sollicitation des médias)...

Cette typologie encore exploratoire peut-elle s'inscrire dans une perspective de généralisation, et si oui, laquelle ?

L'histoire de la géographie se confond-elle avec « celle de l'engagement dans les différentes sciences humaines et sociales » ? C'est peut-être, au moins au premier regard, le cas depuis les années 2010, mais à mon sens, cela ne l'a longtemps pas été auparavant. Préciser le degré de validité de l'hypothèse proposée requiert de penser l'autonomie relative du champ de la géographie parmi les sciences, laquelle reste un problème complexe pour les géographes puisque la réputation du hors discipline y est toujours un argument efficace, tandis que certains géographes (formés en géographie, ayant effectué une thèse dirigée par un géographe) revendiquent une affiliation scientifique extra-disciplinaire (areal studies, chercheur en sciences sociales...). Or la diversité des objets en géographie est telle qu'aucune référence théorique n'est aujourd'hui en mesure de les subsumer, comme cela peut être au moins envisagé dans d'autres disciplines (sociologie, par exemple) ; d'où la nécessité de privilégier la recherche des modalités de dialogue entre ses différentes conceptions.

[1] Toutes les citations en note sont issues de l'appel à communications.


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