L'union fait-elle la force ? Les enjeux de la construction d'un collectif de recherche engagé
Célia Auquier, Pour Le Collectif Scic-Agri  1@  
1 : UMR Agir et LGTO
Université Paul Sabatier - Toulouse III

Grâce à un co-financement de l'ANR et de l'ADEME obtenu en 2021, le programme de recherche SCIC-AGRI s'intéresse à l'entrée des Sociétés Coopératives d'Intérêt Collectif (SCIC) – coopératives multi-parties prenantes issues du champ de l'Économie Sociale et Solidaire – dans le secteur agri-alimentaire. À travers une démarche de recherche participative, il s'agit d'interroger le potentiel innovant et disruptif des SCIC dans la mise en œuvre des transitions. Cette communication propose d'identifier les modalités de l'engagement d'une équipe pluridisciplinaire de chercheur·es (inscrit·es en sciences de gestion, en économie, en sociologie et en géographie) et de discuter de la façon dont ce dernier façonne nos pratiques individuelles et collectives de recherche. Si l'ensemble des chercheur·es s'accorde sur la nécessité de produire une recherche qui croise les savoirs et qui soit ancrée dans le terrain, les modalités et les implications de l'engagement ne se traduisent toutefois pas toujours de façon homogène parmi les membres. Cet engagement s'exprime d'abord et de façon partagée à travers la démarche de recherche participative qui vise à créer un espace d'interface entre recherches universitaires et travaux des SCIC, en co-construisant le projet et les modalités du partenariat et en proposant des dispositifs et médiums variés d'animation, de restitution et de publication actionnables (notamment artistiques) ne pesant pas sur les finances des partenaires. L'engagement s'exprime ensuite à travers le choix de l'objet étudié et la posture critique adoptée – construite autour de « la remise en question des catégories analytiques classiques [...], articulées à une volonté de peser sur les évolutions politiques et sociales » (Morange et Calberac 2012:2), dans une visée émancipatrice (De Koninck 2004). L'analyse des pratiques organisationnelles, spatiales et territoriales des SCIC étudiées permet de renseigner comment ces acteur·rices alternatif·ves s'organisent dans et par rapport au système agri-alimentaire industriel dominant (Fouilleux et Michel 2020) et de comprendre comment ces SCIC s'inscrivent dans des rapports socio-spatiaux de domination tant à l'échelle de leur territoire d'implication que de leur secteur d'activité. Si Gintrac (2020) indique qu'en géographie ce n'est pas l'objet qui rend la discipline critique mais la démarche, dans ce projet, la sélection des SCIC étudiées est aussi le résultat d'un véritable choix politique : par la réflexivité, la mise à distance et l'analyse de leurs pratiques, cette recherche porte l'ambition de faire progresser les partenaires avec lesquels il a été décidé de travailler. En revanche, les avis des chercheur·es divergent lorsqu'il s'agit de se positionner face à la neutralité axiologique (Callon, Lascoumes et Barthe 2001 ; Pfefferkorn 2014) et face aux modalités de publication – plus ou moins militantes – dans un contexte où la validation scientifique est largement soumise à des injonctions de performance.

Enfin, nous estimons que l'engagement ne concerne pas uniquement nos objets et nos approches : il s'agit aussi de réfléchir aux conséquences de nos pratiques de recherche sur le monde scientifique et sur les individus qui le portent. C'est justement en s'inspirant de certaines pratiques de nos partenaires – et c'est sans doute là, une autre modalité de notre engagement – que nous cherchons à construire un collectif offrant à la fois un espace de lutte contre le capitalisme universitaire (Glerup, Davies et Horst 2017) et un espace de réflexivité pour penser nos propres pratiques (gouvernance, introspection, prise en compte des émotions, polyvalence, etc.). La diversité des postures des chercheur·es et les liens étroits que nous entretenons avec nos partenaires conduisent ainsi à la redéfinition permanente des contours d'un collectif de recherche-action en cours de déploiement.

Bibliographie

Callon Michel, Lascoumes Pierre et Barthe Yannick, 2001, Agir dans un monde incertain essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 358p.

De Koninck Rodolphe., 2004, « Chapitre 13. La géographie critique » dans Les concepts de la géographie humaine, 5e éd., Paris, A. Colin (coll. « U »), p. 185‑198.

Fouilleux Ève et Michel Laura, 2020, Quand l'alimentation se fait politique(s), Rennes, Presses universitaires de Rennes (coll. « Res publica »), 350p.

Gintrac Cécile, 2020, « Le foisonnement récent de la géographie critique en France », Histoire de la recherche contemporaine. La revue du Comité pour l'histoire du CNRS, 1 juin 2020, Tome IX-n°1, p. 35‑44.

Glerup Cecilie, Davies Sarah R. et Horst Maja, 2017, « ‘Nothing really responsible goes on here': scientists' experience and practice of responsibility », Journal of Responsible Innovation, 2 septembre 2017, vol. 4, no 3, p. 319‑336.

Morange Marianne et Calberac Yann, 2012, « Géographies critiques » à la française » ? », Carnets de géographes, 1 septembre 2012, no 4, p.

Pfefferkorn Roland, 2014, « L'impossible neutralité axiologique », Raison Présente, 2014, no 191, (coll. « réduction et émergence dans les sciences »), p. 85‑94.


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