Alors que, selon Claval (2013) « le terrain joue un rôle central dans la mythologie du géographe », la neutralité est-elle possible ou souhaitable dans cette discipline ? La posture du chercheur présuppose une certaine quête de la neutralité. En effet, comment produire de la connaissance si la démarche de recherche, de sa construction à l'interprétation des données, est biaisée par une objectivité qui peut échapper au géographe ? Divers travaux (Garson et Sofo, 2020) ont déjà étudié la question de l'objectivation de la recherche. Mais qu'en est-il du rapport à l'objet d'étude en géographie ? A partir d'expériences tirées de temporalités, sujets et financements différents (dynamiques associatives en milieu rural, mobilisation d'acteurs locaux dans le cadre de projets culturels, etc.), nous proposons de réinterroger cette posture de neutralité du géographe vis-à-vis des conditions de production de la recherche.
Nous supposons que le rapport au terrain du géographe varie, entre autres, à l'aune de deux éléments. Le premier concerne la temporalité même de l'action étudiée, selon qu'il s'agisse plutôt d'un phénomène séquentiel ou processuel, et de l'inscription de la démarche de recherche dans ce temps qui lui est « extérieur ». Le second élément de variabilité du rapport au terrain est relatif au degré des engagements du géographe vis-à-vis de son terrain d'étude. Pour analyser ces engagements, nous mobiliserons les notions d'ancrage, d'amarrage et d'enracinement proposées par Debarbieux (2014).
L'articulation de ces deux éléments réinterroge la question de la posture du géographe par rapport à son objet d'étude et constitue ce que nous appellerons le degré d'immersion du géographe. En souhaitant « être à l'égal des populations qu'il enquête [sans] chercher à les dominer » (Calberac, 2010, p.65), on peut imaginer, parfois à tort, que le géographe aura tout intérêt à être le plus impliqué possible dans son objet d'étude. Parallèlement à cela, un présupposé nous invite à penser qu'une relation plus distante à l'objet favorise cette fameuse neutralité du chercheur.
A travers cinq expériences de recherches géographiques aux sujets d'études, méthodologies et degrés d'avancement variés, nous proposons d'étudier le gradient d'immersion du géographe. Cet outil permet de figurer les trajectoires de recherches au regard du rapport entretenu avec le terrain et l'objet d'étude. Mobilisable dans tout projet de recherche et à tout moment, il possède plusieurs intérêts. Il rend d'une part compte de la dimension itérative d'une telle démarche, permet d'en identifier et de préparer les différentes phases et facilite une capitalisation de l'expérience cumulée. D'autre part, en interrogeant son propre positionnement tout au long de la démarche de recherche et en dessinant sa trajectoire de relation au terrain, le chercheur reconnaît qu'il ne peut prétendre à une neutralité absolue (Lelubre, 2013). Mieux comprendre son engagement et sa relation au terrain, parfois implicite, permet d'assumer son immersion dans un contexte donné et apporte ainsi une plus grande valeur à sa démarche de recherche.
Bibliographie :
Calberac, Yann. « Terrains de géographes, géographes de terrain. Communauté et imaginaire disciplinaires au miroir des pratiques de terrain des géographes français du XXe siècle ». Thèse en géographie, Université Lumière, Lyon II, (2010).
Claval, Paul. « Le rôle du terrain en géographie ». Confins. / Revista franco-brasilera de geografia, [En ligne] no 17 (2013). 27p. https://doi.org/10.4000/confins.8373.
Debarbieux, Bernard. « Enracinement – Ancrage – Amarrage : raviver les métaphores », L'Espace géographique, vol. 43, n° 1 (2014), pp. 68-80. https://doi.org/10.3917/eg.431.0068
Garson, Cyrielle et Sofo, Giuseppe (dir.), « Objectivité dans la recherche scientifique ». Sphères, Éditions Universitaires d'Avignon (2020), 153 p.
Lelubre, Marjorie. « La posture du chercheur, un engagement individuel et sociétal ». Recherches qualitatives, Collection hors-série « Les actes », nᵒ 14 (2013). pp. 15‑28.