L'engagement des géographes au prisme de la sociologie des sciences et des professions : une étude comparée France / Royaume-Uni
Kimberley Du Buat  1@  , Nicolas Szende  1, 2@  
1 : Géographie-cités
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : UMR_8504, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR_8504
2 : Territoires, Villes, Environnement & Société - ULR 4477
Université de Lille : ULR4477

Cette proposition de communication s'appuie sur nos deux recherches doctorales, qui ont pour point commun de vouloir construire une sociologie du champ académique et professionnel de la géographie. Dans cette perspective, il nous paraît pertinent d'effectuer un travail comparatif entre nos deux terrains, à savoir la France et le Royaume-Uni, deux puissances internationales dans la production des savoirs géographiques. L'engagement (de nos enquêté-es) dans les mondes de la géographie est une problématique centrale de nos travaux de recherches, qui questionne la place des “géographes dans la cité” (Axe 2) dans l'histoire contemporaine des savoirs géographiques (Axe 5). 

Commencer une socio-géographie des géographes relève bien de l'engagement, tant personnel que professionnel (Orain, 2009). Souvent mené par des géographes mûrs (Phlipponneau, 1999 ; Knafou, Dory, Douzant-Rosenfeld, 1993) en réponse à une demande sociale de leur groupe professionnel en quête de légitimité et de légitimation, cet exercice demande une certaine forme d'abnégation en n'offrant que peu de débouchés professionnels. Trois problématiques principales liées à l'engagement se dessinent : 

Quelle est la place des géographes dans la cité ? Retracer le parcours professionnel des docteurs en géographie (années 2006, 2012 et 2018) permet d'esquisser une socio-géographie des géographes dans la France contemporaine. Ces recherches en cours seront étendues à tous ceux s'identifiant comme géographes, par une méthodologie tant quantitative que quantitative. Novatrice, cette enquête ne se restreint pas aux sphères académiques mais bien à toutes les sphères professionnelles (privé, public, associatif etc.) pour analyser ce que représente le fait « d'être géographe en France », comme l'avait fait Odile Piriou pour les sociologues (Piriou, 1999) .

Mais le champ de la géographie britannique est également un point de départ idéal pour cette entreprise. En effet, les liens entre monde universitaire et monde industriel y sont variés et même institués sous plusieurs formes depuis la seconde guerre mondiale (D'este et Patel, 2007). Avant même la désormais documentée managérialisation des pratiques de recherche à travers les pays du Nord, notamment dans les sciences relatives à l'espace (Imrie, 2016 ; Pinson, 2016) des instruments tels que le Knowledge Transfer Partnership, développé sous l'ère de Thatcher, institue des liens forts entre monde industriel et laboratoires universitaires (Camerati Morras, 2014), ceci posant la question de la place des géographes dans le monde professionnel. 

Les géographes forment-ils un groupe professionnel (au sens de Demazière, Gadéa, 2009) défini, capable de s'engager, de se vendre et de se défendre ? Ces questionnements seront l'occasion d'une mise en perspective de nos travaux avec la sociologie des groupes professionnels dont ils sont directement inspirés (Lamy et Shinn, 2012). C'est une question particulièrement pertinente à l'heure où le travail de géographe, même dans le monde universitaire, peut impliquer un éventail de prestations de conseil ou de collaboration avec différentes formes de gouvernance territoriale, d'ingénierie ou d'architecture, aujourd'hui pratiquées par des laboratoires de géographie, d'un côté où l'autre de la Manche. 


Enfin, il sera pertinent de se questionner sur notre propre engagement et positionnement de géographes étudiant les géographes. S'il est indispensable de situer son savoir, une certaine mise à distance est également nécessaire pour approcher des idéaux de neutralité et d'objectivité de la recherche, et ce tout en les remettant constamment en question dans nos travaux, faisant écho aux débats autour de la peur de ‘devenir indigène' (« going native ») au sein du terrain de recherche étudié (Latzko-Toth, 2009).

 

BIBLIOGRAPHIE

Camerati Morrás, Felipe. Les universitaires britanniques face aux instruments d'évaluation et de financement de la recherche. (Doctoral dissertation, Paris, Institut d'études politiques), 2014.

Demazière, Didier, Gadéa, Charles. Sociologie des groupes professionnels, Acquis récents et nouveaux défis. La Découverte, Recherches, 2009, 466p.

D'Este, Pablo, et Patal, Piri. "University–industry linkages in the UK: What are the factors underlying the variety of interactions with industry?." Research policy 36, no. 9 (2007): 1295-1313.

Imrie, Rob (2016). The interrelationships between contract research and the knowledge business. In The Knowledge Business (pp. 23-40). London : Routledge.

Knafou, Rémy ; Dory, Daniel, Douzant-Rosenfeld, Denise. Matériaux pour une sociologie de la géographie, L'Harmattan, 1993, 188p.

Lamy, Erwan. & Shinn, Terry. (2006). L'autonomie scientifique face à la mercantilisation: Formes d'engagement entrepreneurial des chercheurs en France. Actes de la recherche en sciences sociales, n. 164, 23-50

Latzko-Toth, Guillaume. (2009). L'étude de cas en sociologie des sciences et des techniques. CIRST.

Orain, Olivier, De plain-pied dans le monde. Ecriture et réalisme dans la géographie française au XXème siècle, Histoire des Sciences Humaines, L'Harmattan, 2009, 423p. 

Phlipponneau, Michel. La géographie appliquée. Du géographe universitaire au géographe professionnel. Paris, Colin, coll. V., 1999, 299p.

Pinson, Gilles (2016). The knowledge business and the neo-managerialisation of research and academia in France. In The Knowledge Business (pp. 197-218). London : Routledge

Piriou, Odile. La sociologie des sociologues : Formation, identité, profession. Nouvelle édition [en ligne]. Lyon : ENS Éditions, 1999


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