Résumé
L'urbex - urban exploration - est une activité de loisir consistant à rechercher et localiser des infrastructures abandonnées pour les visiter et/ou les photographier. Cette pratique est le plus souvent illégale, voire illicite dans le sens où la mise en situation d'illégalité est intentionnelle, recherchée et consubstantielle de l'activité. Avec le parkour, l'urbex fait partie des loisirs que j'ai étudiés dans ma thèse portant sur la ville récréative en interrogeant la place des pratiques récréatives transgressives dans l'espace public, la société urbaine et l'aménagement urbain. Entre 2018 et 2020, j'ai enquêté en m'engageant dans l'urbex, principalement en me joignant à des groupes lors de leurs sorties dans le Nord-Pas-de-Calais et la Belgique francophone. En effet, ce n'est que par ma participation active à l'activité queje pouvais la saisir au mieux, d'autant plus du fait que l'urbex revêt cette dimension illégale (Dekeyser et Garrett, 2017). Celle-ci pourrait sembler limitante pour la construction d'une investigation par ma participation à l'activité. À l'inverse, elle implique une rigueur éthique et méthodologique décuplée (Kindynis, 2017, 2019) sur laquelle je souhaite revenir à travers plusieurs enjeux liés à mon engagement dans cet objet, notamment en matière d'ajustement et d'évolution de mes pratiques de recherche ou de questionnements et doutes éthiques et méthodologiques. Pour en témoigner, je m'appuierai à la fois sur un corpus de littérature interdisciplinaire qui m'a accompagné dans mon cheminement réflexif quant à mon positionnement sur le terrain et en tant que chercheur, sur mes expériences vécues à travers l'arpentage du terrain et mes réactions face à un ensemble d'événements, ainsi que sur la réflexivité que j'ai pu construire a posteriori quant à mon rapport au terrain et à mes pratiques de recherche.
Premièrement, j'expliquerai en quoi enquêter sur une activité illégale implique de construire une méthode « limite ». Une précédente thèse sur l'urbex a tout d'abord été rejetée du fait de sa méthodologie par immersion dans une telle activité (Garrett, 2012), ce qui interroge l'adéquation entre loi et éthique scientifique. Or, pour étudier des objets alternatifs, il faut le plus souvent mobiliser des méthodes alternatives (Bingham, 2018) et « braver le danger de lâcher les repères juridiques qui codifient l'interdit social » (Congoste, 2020, p. 38). Ce sera également l'occasion d'exposer ma méthode de participation observante, impliquant un engagement intense dans le terrain et une non-correspondance aux bonnes pratiques méthodologiques (Soulé, 2007). Mon enjeu a alors été de garantir l'éthique morale de mon entreprise de recherche à défaut d'une approbation éthique scientifique institutionnelle
Deuxièmement, je mettrai la lumière sur mes doutes quant à la recevabilité de mon travail. Si j'ai fait le deuil du respect de la loi pour saisir pleinement l'urbex et respecter une certaine éthique méthodologique, l'enjeu de la scientificité de ma méthodologie persiste. À cet effet, je partagerai la manière dont je me suis libéré de son poids en la reconstruisant, notamment à partir de travaux antérieurs, à l'image de ceux de Becker sur les fumeurs de marijuana (1985), et de leur caution scientifique apportée par leurs évaluations entre pairs.
Troisièmement, je ferai part de l'importance de prendre en compte le fait qu'avant d'être un chercheur je suis une personne. D'une part, cette idée s'inscrit dans le principe d'autonomie éthique (Bingham, 2018) : reconnaissance du caractère personnel des questions morales dans la recherche ; et déplacement de l'enjeu éthique vers une évaluation de l'acceptabilité morale de la méthode par mes enquêtés et moi-même plutôt qu'au regard d'une règle universelle. D'autre part, considérer la personne que je suis dans mes pratiques de recherche m'a amené à penser l'éthique de mon travail aussi dans la récolte du matériau in situ et souvent à chaud, ainsi qu'a posteriori du travail de terrain (Dekeyser et Garrett, 2017). Je pourrai alors développer comment j'ai pu appréhender cette construction éthique in situ non pas comme un « obstacle méthodologique » mais comme un stimulateur de la réflexion compréhensive (Lapointe, 2014).
Références
Becker, H. (1985). Outsiders : études de sociologie de la déviance (traduit par J-P. Briand et J-M. Chapoulie). Éditions Métailié.
Bingham, K. (2018). Trespassing in (Un)Familiar Territory: Knowing “the Other” in Ethnographic Research. International Journal of the Sociology of Leisure, 1(2), 121-137.
Congoste, M. (2020). Le risque anthropologique. Dans Y. Beldame et E. Perera (dir.), In situ : Repousser les frontières de l'enquête de terrain (p. 27-47). L'Harmattan.
Dekeyser, T. et Garrett, B. L. (2017). Ethics ≠ law. Area, 50(3), 410-417.
Garrett, B. L. (2012). Place Hacking: Tales of Urban Exploration [Thèse de doctorat inédite]. Royal Holloway, University of London.
Kindynis, T. (2017). Urban exploration: from subterranea to spectacle. The British Journal of Criminology, 57(4), 982-1001.
Kindynis, T. (2019). Urban Exploration as Deviant Leisure. Dans T. Raymen et O. Smith (dir.), Deviant Leisure (p. 379-401). Palgrave McMillan.
Lapointe, M-E. (2014). Le processus d'observation ou de la nécessité d'être « pris(e) au jeu ». Recherches qualitatives, 33(1), 172-187.
Soulé, B. (2007). Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications de la notion de participation observante en sciences sociales. Recherches qualitatives, 27(1), 127-140.