L'acceptation sociale se définit par le « processus par lequel un groupe social admet la présence d'usages, de pratiques, d'infrastructures, de réglementations, de législations, voire de restrictions et de toutes formes de modifications de son espace de vie, sur un territoire qu'il partage avec d'autres acteurs, mais dont il est fréquemment propriétaire et/ou principal utilisateur et/ou sur lequel il dispose de l'antériorité » (Laslaz, 2020). Elle suscite un intérêt croissant depuis quelques années, particulièrement Outre-Atlantique. Au Québec, la thématique de l'acceptabilité est mobilisée pour l'étude de l'extraction du gaz de schiste ou encore de l'éolien (Gendron, 2014). C'est aussi l'énergie renouvelable qui contribue à l'intérêt pour la notion d'acceptation et d'acceptabilité en France (Oiry, 2017), même si elle demeure encore limitée dans les publications de sciences humaines et sociales.
De nombreux gestionnaires d'espaces protégés s'intéressent ainsi de manière croissante à la question de l'acceptation sociale, car le pilotage politique d'un espace protégé ne peut s'en exonérer (Laslaz et al., dir., 2014). Il existe toutefois encore un hiatus entre l'intérêt a priori pour l'acceptation sociale et l'accueil qui est fait du sujet par les gestionnaires des terrains choisis. Relations aux acteurs du territoire et aux usagers, projets d'extension des périmètres et protection ne peuvent faire l'économie d'une compréhension fine des mécanismes de l'acceptation sociale. Malgré cette dimension cruciale, il apparaît parfois une forme de méfiance, si ce n'est de claire hostilité à la présence du/de la chercheur·euse sur l'espace protégé. C'est toutefois méconnaître la place du chercheur que de penser que celui-ci se positionne en juge des protagonistes dont il étudie les discours (Koren, 2013), bref, qu'il s'engage.
Le démarrage de ma thèse a parfois été redouté par les gestionnaires tant elle semblait pouvoir dévoiler les rapports de force entre acteurs, ou encore les conséquences des décisions prises par les gestionnaires, anciennes ou récentes, et que ceux-ci semblaient vouloir s'évertuer à ignorer. Poser la question de l'acceptation, c'est aussi soulever celle du conflit, et cette perspective inconfortable pour les gestionnaires a pu les laisser croire que je m'engageais contre eux, alors même qu'une partie des financements provenait de leur part. Pour autant, il est problématique de considérer qu'une participation financière à une recherche autorise à orienter celle-ci, et encore moins que cette participation est le gage d'un engagement du chercheur aux côtés des financeurs.
Je ne nécessitais pas d'accord formalisé des gestionnaires ou des divers acteurs du territoire pour réaliser mon travail d'enquête. Toutefois, un aval « de principe » permettait surtout de porter à connaissance la conduite de la thèse, de me présenter, dans le meilleur des cas de faciliter la réalisation de l'enquête dans le contexte local, et pourquoi pas de développer des relations sur le principe du « donnant-donnant », constructives et enrichissantes. En somme, une forme de validation était tout de même attendue. A posteriori, les négociations opérées ne sont pas tant une condition préalable de l'enquête qu'une opportunité de voir se dessiner les fils reliant les gestionnaires des réserves naturelles avec les acteurs socio-pro mais aussi avec les acteurs politiques et administratifs, à différentes échelles. Les négociations pour accéder au terrain sont alors à considérer comme un objet de plein droit de la recherche en géographie et se révèlent être un véritable matériau d'analyse, légitime, du terrain lui-même et non seulement de la position et des stratégies d'accès au terrain de l'enquêtrice.
Dans l'optique de cette communication, nous nous proposons d'analyser la réception par des gestionnaires d'espaces protégés d'une thèse portant sur l'acceptation sociale de « leurs » réserves naturelles par les différents groupes sociaux. Nous mettrons ainsi en exergue et en perspective le paradoxe de gestionnaires attentifs à l'acceptation sociale mais frileux à l'idée de la questionner sur leurs terrains. A l'heure où l'Etat français fait montre d'objectifs forts en matière d'espaces protégés, interroger non seulement la réception de telles décisions par la population via l'étude de l'acceptation sociale, mais aussi la façon dont se positionnent les gestionnaires d'espaces protégés vis-à-vis de cette thématique et ce qu'elle contient en creux (les tensions, voire les conflits), s'avère nécessaire. A ce titre, envisager les difficultés rencontrées par le prisme de la question de l'engagement est éclairant. Une recherche sur les espaces protégés qui ne s'illustre pas comme engagée avec les gestionnaires est-elle forcément contre eux ? Travailler avec eux reviendrait-il alors à s'engager pour les réserves naturelles et les approches et choix des gestionnaires ? Comment sortir par le haut de cette binarité ?