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Appel à communication« M. Templier prend sur lui de te promettre d’ores et déjà ses pouvoirs pour la Géographie descriptive, à une condition, une seule : que ta Géographie descriptive ne soit pas politico-religio-sociologico-militante […] Si tu renonces à faire un livre de combat, car évidemment c’est un livre de combat qu’on craint, écris-le moi »(Lettre d’Onésime Reclus à Élisée Reclus, 11 avril 1871).
Cet extrait désormais iconique de la relation entre écritures de la géographie et engagements vient ouvrir sur les multiples positions des géographes vis-à-vis de la vie de la cité. Nombre d’écrits de géographie sont des ouvrages de combats ou souhaitent définir à quoi devrait servir la géographie à l’adresse d’un large public. A contrario nombre de géographes taisent leurs combats dans leurs écrits. Si d’autres disciplines relevant des sciences humaines et sociales intègrent régulièrement la question de l’engagement, la géographie éprouve des difficultés à l’aborder. L’engagement, parfois dénié, reste fréquemment implicite, comme relevant de l’intime, comme secondaire devant l’opérationnalité revendiquée par la discipline, alors qu’il influence considérablement la production scientifique et la place de la science géographique dans la société. Au sein du CNFG par exemple, les libellés des 26 Commissions thématiques ne laissent guère percevoir les positionnements éthiques et politiques des chercheurs, à l’exception sans doute des Commissions Géographie féministe et Géographie critique. Toutefois, l’apparente objectivité quelquefois affichée par les chercheurs révèle toujours différents niveaux d’engagement(s) que ce soit au travers des objets étudiés, des méthodes utilisées ou des résultats obtenus. Or, ce colloque intervient dans un contexte paradoxal qui d’un côté semble inciter à une parole engagée ou radicale, face à un contexte climatique, environnemental, social délétère et, de l’autre, voit la multiplication d’attaques politiques contre des pans entiers des sciences humaines et sociales, et de la géographie, à qui il serait reproché de sortir du registre de la science et de l’universalisme. Semble apparaître la volonté d’affaiblir les travaux universitaires dès lors qu’ils vont à l’encontre des idées dominantes, questionnent des présupposés politiques et sociaux, ou cherchent, en étudiant les rapports de domination, à relire l’histoire récente et à rendre visible les minorités. Cette situation n’est aucunement nouvelle. Elle s’inscrit dans une longue histoire des tensions entre engagements et injonction à la neutralité. Ces débats resurgissent avec plus ou moins de virulence selon les moments politiques et selon les pays. En effet, si cette question peut être évoquée dans le cas des polémiques actuelles en France, elle reste bien évidemment moindre comparée à la situation des universitaires dans des pays où leur liberté, leur intégrité physique et leur vie peuvent être directement menacées. Concernant les travaux en géographie, il semble finalement que ce soit moins l’acte d’engagement qui compte que le rapport à l’objet d’étude, et plus largement au monde. Ici, situer son savoir n’est pas l’affaiblir, mais est au contraire une condition de sa scientificité. Il s’agit d’énoncer d’où l’on parle, de se positionner scientifiquement, mais aussi d’objectiver sa position dans le monde social, et surtout d’analyser les effets que ces positions peuvent avoir sur les recherches menées. En droit fil de ce constat, ce colloque propose de considérer que toute géographie est d’une manière ou d’une autre engagée.Cette affirmation ne résout pourtant pas la question de savoir ce qu’est une géographie engagée, ni comment elle se pratique. Elle ouvre au contraire bien des chantiers, largement entamés par les géographies anglophones et la géographie critique, confrontant militantisme et engagement, savoir militant et savoir techniques, idéologie et objectivité scientifique s’appuyant sur des méthodes robustes. Elle a occasionné au sein du Comité d’organisation de ce colloque de vifs débats, l’acception du terme « engagement » différant parmi ses membres et pesant fortement sur les thématiques retenues et le public concerné. Davantage que l’inventaire des motifs de l'engagement des géographes, qui seront rappelés mais ne constituent pas l'objectif de ces Rencontres CNFG, c'est le dialogue scientifique et le jeu fécond des postures entrelacées, qui se nouent entre le travail de recherche et l’engagement qui fondent ce colloque. Quelles tensions existent, ou n’existent pas, entre objectivité scientifique et conviction ? Comment les deux postures sont-elles conciliables ? Comment se nourrissent-elles l'une l'autre ? Quelles peuvent-être les modalités d'un dialogue scientifique, intégrant des dimensions éthiques, morales et politiques ? Qu’est-ce que la « demande sociale » ? Comment le financement des travaux de recherche structure-t-il la production scientifique ? Comment construire des savoirs critiques et situés dans une discipline historiquement au cœur des nécessités du pouvoir ? Et en quoi la méthodologie scientifique, qui suppose un effort d'état de l'art et de (re)connaissance de l'intégralité d'un champ de recherches, dans ses diverses postures et controverses, est-elle une démarche plus que jamais nécessaire et féconde dans cette perspective ? Quelles sont les figures de l’engagement ? Quelles différences existe-t-il entre chercheur engagé et recherche engagée ? Quels sont aussi les paradoxes de l’engagement, les tiraillements entre vie privée et vie publique, la dispute pouvant être à la fois éthique et personnelle, individuelle et collective ? Quelles temporalités enfin, dans ce contexte relationnel très mouvant, animent l’engagement des chercheurs ?
Axe 1: Les processus de l’engagement Sous la forme de retours d'expérience ou d'apports théoriques, l’axe accueillera des communications concernant les thèmes suivants : > S’engager à penser l’espace, le territoire et les sociétés: Qu'est-ce que l'engagement en géographie? Le thème interroge les relations, rapports de consubstantialité, causalités entre des engagements, des parcours et des objectifs professionnels. Si la géographie nous engage, comment et à quoi ? Quelles sont ou quelles devraient être les « causes » de l’engagement ? Quelles responsabilités sont les nôtres : y a-t-il un devoir d’engagement ? Convient-il d’en interroger les limites ; de distinguer l’engagement du militantisme ; et convient-il de dissocier recherche et enseignement ? > Faire le choix de s'engager : Il convient de questionner les temps, les modalités et les lieux de l'engagement. Il s'agira d'articuler des analyses à des échelles collectives et individuelles, révélant des liens et arrangements, des porosités et/ou des effets de segmentation entre nos différentes fonctions sociales. > Il paraît pertinent de réserver une part de la réflexion à l'engagement des géographes dans les structures politiques au sein de l'ESR et dans des activités militantes. Comment les géographes s'insèrent-ils dans des rapports de pouvoir et de domination au sein de leurs espaces de travail ? Ce pan de recherche encore peu développé renvoie à de récents travaux portant sur la géographie du système universitaire ou encore sur les réseaux de recherche. > La dimension enseignante sera également à l'honneur dans cet axe. En effet, les espaces-temps de cours sont aussi l'occasion de mettre en adéquation (ou non) nos convictions idéologiques et scientifiques et constituent en ce sens des arènes politiques. Dans le contenu des cours, dans leurs formats (didactiques et pédagogiques), dans les relations aux étudiant.es, les positionnements de géographes disent beaucoup. > Enfin, l’axe 1 questionnera les interactions entre scientifiques et experts/sphères professionnelles extra-académiques (domaines publics ou privés, associatifs ou non). Axe 2 : Mettre sa liberté en cage ou en gage ? Coûts, effets, avantages des formesplurielles de l'engagement. S’engager, c’est s’embarquer, en acceptant une part de risque, d’aléa et d’incertitude. Quelle est la prise de risque lorqu’un.e géographe sélectionne un objet géographique, un terrain singulier, et, partant, une cause ? Comment ce choix questionne-t-il le ou la géographe sur le court terme, mais aussi sur la longue durée d’une carrière, et comment affecte-t-il les interactions avec les collectifs et les institutions dans lesquels il ou elle est enchâssé(e) ? Peut-on également multiplier ces choix et ces causes mais également en changer ou y renoncer – et comment ? Peut-on repérer et interpréter la fabrique et les effets des trajectoires d’engagement ? Ainsi, si s’engager a un coût, mais aussi des avantages qu'il faut peut-être souligner, la nature et les effets de ces engagements seront abordés à différents niveaux éthiques, mais aussi pratiques et théoriques. > Un premier domaine d’analyse concerne la relation entre le choix du sujet, l’objet de recherche et les conditions de production de la recherche. Ces formes de production se sont récemment diversifiées : financements émanant de structures territoriales, associatives ou bien d’entreprises, formes de recherche en alternance entre laboratoire et terrain ou espaces de luttes, résidences... Le colloque accueillera, entre autres, les réflexions relatives aux effets de la pratique de financement des thèses par différents dispositifs, côté doctorant comme côté encadrant, et d’autre part les perspectives réflexives des chercheurs et de leurs partenaires relativement à la construction et à l’expression des engagements dans l’espace public. La parole et l’expérience des géographes qui refusent des financements non issus des canaux publics de la recherche seront également accueillies : quelles raisons, effets de ce choix et coûts en termes de production scientifique, de visibilité, de carrière ? > Le second domaine porte sur les liens entre recherche et action et interroge les récentes transformations, au plan conceptuel comme opératoire, des interactions des géographes avec les acteurs (en lutte) dans la cité. Des témoignages croisés, des expériences de recherche individuelle ou collective, en France ou à l’étranger, sur des terrains à risque, sont bienvenus s’ils sont associés à des efforts de mise en perspective afin de conjuguer des aspects illustratifs, historiques, comparatifs et critiques. Seront aussi bienvenus les retours sur la manière dont les géographes ont identifié des lignes rouges et appris à négocier pour conserver leurs libertés de position, d’action et de parole – y compris quand les résultats de leurs recherches ne vont pas dans le sens souhaité par les partenaires. Les nouvelles injonctions à développer des protocoles scientifiques participatifs ou ouverts invitent les géographes à travailler en interaction croissante avec des collectifs multiples. Ces derniers peuvent être extrêmement militants voire partisans car non seulement défendant des causes très fortes mais aussi participant à des processus électoraux. Dans ce contexte, la relation dépasse le simple rapport aux enquêté.es car il nécessite un processus de discussion et d’intégration de ces collectifs dans le dispositif de recherche. De plus, les recherches sont régulièrement ponctuées de moments forts pouvant prendre la forme d’obstructions ou de luttes politiques plus ou moins régulées, comme une campagne électorale, une mobilisation, des manifestations, durant lesquelles l’universitaire et ses travaux peuvent être convoqués pour devenir un argument justifiant telle ou telle prise de position. Les géographes par leur capacité à produire des données, des représentations cartographiques fondant des analyses spatiales se retrouvent impliqué.e.s dans des processus de confrontations territoriales particulièrement intenses. Dans ce contexte plusieurs questions se posent : > Comment aborder un terrain qui comporte des enjeux politiques forts ? Quels dispositifs scientifiques permettent d’envisager le projet politique comme un outil pour identifier des objets à traiter ou pour formuler des questions de recherche ? > Comment inclure les personnes enquêtées dans le processus d’enquête, voire dès la formulation de la question de recherche ? Comment intégrer les figures extrêmement engagées parfois défendant des projets très radicaux sources de fortes tensions voire de violences ? Comment travailler sur des figures en conflit avec la loi et prenant le risque de la condamnation juridique ? Quels protocoles éthiques doivent être développés au moment de la conception de la méthode, mais aussi tout au long de l’observation et surtout au moment de la restitution des analyses ? > Quels sont les enjeux de la définition d’un positionnement politique (et social) des chercheur.es à titre individuel ou collectif ? Comment doivent-ils être articulés au protocole scientifique ? Comment faire pour que ce positionnement soit rendu lisible ? Quelles sont les modalités de formulation d'une éthique de la recherche ? > Comment forger des catégories d'analyses et des outils d'objectivation des réalités géographiques engagées et fertiles scientifiquement ? Dans un contexte général d’injonction à la performance des ESR, se pose la question des pratiques de recherches engagées. Les géographes s’impliquent dans des processus civiques à la fois comme corps professionnels en défendant des causes collectives au sein des ESR, de la fonction publique mais aussi en participant à de grands débats nationaux. A titre individuels, ces mêmes géographes sont à même de s’engager dans des causes sociales autour de “questions vives”. Il apparaît donc important de questionner ces pratiques de l’engagement et comment elles s’articulent concrètement aux pratiques professionnelles. Si les activités syndicales et les mobilisations professionnelles sont acceptées voire valorisées car inscrites dans un cadre institutionnel établi, en revanche certaines pratiques politiques partisanes ou militantes suscitent beaucoup plus de réserves voire de franches oppositions. Il apparaît donc un arrière-plan complexe de légitimation et d’acceptation des engagements multiples des géographes dans la cité qui dépasse celui de l’utilité sociale. Le colloque accueillera avec intérêt les retours réflexifs des géographes ayant participé ou participant à l’action publique à travers un mandat électif, sous l’angle du choix d’engagement, du processus d’articulation avec des acteurs politiques, administratifs et citoyens et sous l’angle des effets en retour sur les activités d’enseignement et/ou de recherche. > Comment faire pour que la recherche participe à nos pratiques d'émancipation, et s'en nourrisse ? Quels sont les effets performatifs de la recherche engagée? Quelle est la place des joies militantes ? Comment partager des expériences de transformation socio-spatiale et de construction de la personnalité ? > Dans un contexte d’injonction à la communication des travaux, nous souhaitons analyser les choix des géographes dans la production des discours, selon des supports, des publics et des contextes multiples : revues et éditions de livres universitaires et scolaires, mais aussi travaux de vulgarisation et de dissémination, prises de position ou partages d’opinions, individuels ou collectifs, dans des médias et réseaux sociaux…. Quelles sont les raisons, les modalités de ces pratiques qui se massifient, se banalisent, se standardisent ? Quels sont les effets sur l’engagement, les contenus, les protocoles et les marges de manœuvre des géographes ? > Au-delà de la méthode, est-il possible de réfléchir à des publications engagées dans un contexte de classement des revues selon des critères d’audience scientifique favorisant des revues payantes ? Quelles stratégies alternatives de diffusion mais surtout de validation scientifique des travaux menés ? Alors que se multiplient les dispositifs ouverts et gratuits de publication, comment doivent-ils être reconnus par les géographes dans les processus d’évaluation ? Axe 5: Epistémologie et histoire Dans ce dernier axe, les communications porteront sur la dimension historique et épistémologique de l’engagement en géographie, afin de dresser un panorama pluriel et composite de la discipline en train de se faire. L’hypothèse sous-tendue est que l’histoire de la géographie se confond avec celle de l’engagement dans les différentes sciences humaines et sociales, voire des tensions et conflits qui en résultent. > Ces enjeux sont encore ouverts à la question : au-delà du procès sur la confusion entre militant et chercheur, comment rendre plus efficaces leurs échanges ? Quelles stratégies d'alliance se font et se défont au gré de l’intensité et de la durée de leur relation ? Ici se pose une question de nature épistémologique, renvoyant aux effets de circulations entre les sphères militantes et de la recherche. Si l'intérêt des géographes pour l'engagement et les questionnements sur leur place dans la cité ne sont pas neufs, ceux-ci ont beaucoup évolué. D'un enjeu d'application des savoirs géographiques aux autres sphères, les débats les plus contemporains sont passés notamment à celui de la multipositionnalité des chercheurs. Ils engagent ainsi un (re)questionnement des notions d'objectivité et de neutralité. >La question des emprunts et circulations s’invite à nouveau dans la discipline de façon récente, pour dénoncer par exemple l'introduction dans la géographie de notions et théories qui suscitent des positionnements forts et des tensions épistémologiques ou politiques.
Soumission des propositions de communications : Les soumissions de proposition de communication se font via ce lien : https://engagement-s.sciencesconf.org/submission/submit
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